Publié le 16/08/2017. Lu 2865 fois.
Depuis plus de 20 ans, Elsa Pharaon, directrice de casting atypique, cherche au-delà du périphérique les nouveaux visages du cinéma français.
Le Parisien du 13 Mai 2017 (AFP/Patrick Kovarik)
Dans la cour d'un collège de Seine-Saint-Denis, le regard délavé d'Elsa Pharaon scanne des silhouettes emmitouflées dans des bombers ou des sweats à capuche. "Lui est génial, il bouge comme dans les films de Scorsese! Il s'appelle comment ?"
Depuis plus de 20 ans, cette directrice de casting atypique cherche, au-delà du périphérique, les nouveaux visages d'un cinéma français, où "trop peu d'acteurs sont issus de la diversité".
Cette fois, son œil a stoppé net sur un ado chevelu, à l'allure désinvolte. Comme il avait stoppé, dans un centre pour apprentis de Gennevilliers, sur le blondinet Rod Paradot, sacré meilleur espoir aux Césars 2016 pour "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot.
Ou sur Adèle Exarchopoulos, 15 ans, assise par terre, devant un lycée parisien: "On ne voyait qu'elle. J'ai d'abord cru que c'était un garçon", raconte la quadra à la voix juvénile. Sur son ordinateur, parmi des milliers de visages d'une autre époque, elle a conservé celui de l'héroïne de "la Vie d'Adèle", défiant, sur un banc public. "J'ai des dossiers sur pas mal de gens", rigole-t-elle.
En ce jour pluvieux d'avril, toute une équipe s'affaire dans le salon de sa coquette maison de Romainville, en Seine-Saint-Denis. Ils ont un mois pour trouver l'ado de 13 ans qui incarnera le fils de Benoît Poelvoorde dans le premier film de Félix Moati, "Deux fils".
Les mercredis et samedis après-midi, ceux qui lui ont tapé dans l'oeil défilent devant sa caméra, dans le sous-sol de la société de production, à Paris, pour un exercice - parfois périlleux - d'improvisation.
"Il y a une légende urbaine autour du "casting sauvage", encore plus quand il est pratiqué en banlieue : les gens imagine qu'on erre dans les rue en costume d'explorateur et que, boum, on tombe sur LE profil incroyable. Au contraire, c'est hyper organisé : il faut appeler les lycées, les collèges, les cours de théâtre. On ne cherche jamais au hasard", explique celle qui, à 44 ans, pratique ce métier depuis... 24 ans.
"Mais... je suis noire"
"Provinciale, je suis aussi métisse socialement", dit Elsa Pharaon, qui a grandi à Valenciennes entre un père guadeloupéen et une mère issue de la bourgeoisie du Nord.
Sans racines dans le "milieu", c'est par hasard, alors étudiante aux Beaux-Arts, qu'elle se retrouve à assurer le casting enfants de "Comment je me suis disputé.. (ma vie sexuelle)" d'Arnaud Despleschin, dont le nouveau film ouvrira mercredi le 70e festival de Cannes.
Depuis, elle a "casté" les comédiens - enfants et adolescents notamment - d'une cinquantaine de longs métrages (Miller, Honoré, Hansen Love, Carax, Farhadi...).
Et c'est souvent dans les banlieues réputées mal famées qu'elle a déniché la perle rare. "La démarche, la voix, le regard, l'énergie : en quelques secondes, je sais. Ça fait une sorte de courant électrique".
"Je ne vois pas le périphérique comme une frontière. Je vois seulement qu'ici, il y a tous les profils", constate-t-elle simplement.
"Certains directeurs de casting vous envoient dans le 93 seulement quand ils ont besoin de deux +rebeus+. Elsa n'a pas une vision +racisée+ des choses, elle va partout, car il y a du potentiel partout", résume l'une de ses collaboratrices.
Pour autant, la vice-présidente de l'ARDA (Association des responsables de distribution artistique) a pris le parti de ne pas "y aller en force". "Le cinéma est une bulle, un milieu très favorisé et très ethnocentré. Il faut distiller des propositions, en douceur, mais sans relâche".
Début mai, pour rompre cet "entre-soi", elle a présenté à Sciences Po Paris un mémoire sur un projet d'application de casting, destinée à mettre directement en relation chasseurs de tête et candidats, via téléphone mobile.
Avec, dans un coin de sa tête, le souvenir d'un message reçu quelques jours plus tôt : "Je souhaite candidater... mais je suis noire", écrivait une adolescente.
"Déjà qu'il y a peu de rôles pour eux, en plus ils s'autocensurent", s'émeut-elle. "C'est terrible, j'ai parfois l'impression que c'est pire qu'avant."
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