Publié le 22/07/2022. Lu 10637 fois.
La Nuit du 12 de Dominik Moll, produit par Haut et Court, avec Bouli Lanners et Bastien Bouillon, est sorti en salle, le 13 Juillet et semble trouver son public au milieu du déferlement de superproductions américaines. Depuis "Harry un ami qui vous veut du bien", son second long-métrage, qui le fît connaître d'un large public (2 millions d'entrées en France), il nous invite régulièrement à partager le chaos existentiel de personnages pathétiquement ordinaires poussés dans de souvent scabreux engrenages qui confinent parfois au surnaturel. Les castings de ses films sont à l'image de cet univers acide, grinçant, aussi spectral qu'hilarant et quelle meilleure opportunité pour en parler avec Agathe Hassenforder et Fanny De Donceel que la sortie de ce dernier long-métrage providentiel à la distribution très réussie.
DB: Tout d'abord, je souhaitais vous dire à quel point j'ai trouvé le casting de "La Nuit du 12" enthousiasmant. On sent qu'il est le résultat d'un vrai travail. Qu’il ne s'est pas fait sur le bord d'une table, entre personnes dont ce n'est pas le métier, mais bien dans une salle de casting.
AH: Oui, nous avons vu environ 150 acteurs et une vingtaine d'actrices pour ce film. Il y a eu une première consultation pour les deux rôles principaux. Pour le rôle de Marceau, une de nos productrices avait très vite évoqué le nom de Bouli Lanners, une idée qui a enthousiasmé tout le monde, en premier lieu Dominik et nous. Bouli a accepté tout de suite après lecture du scénario. Pour le rôle de Yohan c’était plus long. Dominik avait proposé le rôle à un comédien qui avait accepté mais qui a fini par se retirer pour un autre projet. Du coup on a dû relancer la machine. Fanny a beaucoup milité pour qu’on voie Bastien Bouillon, avec qui Dominik avait déjà travaillé sur « Seules Les Bêtes ». Finalement on ne l’a vu qu’assez tardivement, mais dès qu’il a passé les essais (la longue scène face à la juge) on savait que ça allait être lui. Il y avait une adéquation complète entre Bastien et la partition de Yohan. Il faut ici rendre hommage à nos productrices, Caroline Benjo, Barbara Letellier et Carole Scotta, qui ont été, comme nous, convaincues par les essais et n’ont jamais fait peser la question de la « bankabilité » pour ce personnage principal, même si ça ne facilitait pas forcément les financements. C’est quand même assez rare pour être souligné.
FDD : Parallèlement à la recherche des deux comédiens principaux, nous avons commencé à constituer autour d’eux le petit groupe de la brigade criminelle. Dominik nous avait expliqué qu’à la PJ, la notion de groupe est essentielle, que pour beaucoup d’enquêteurs, le groupe est comme une deuxième et parfois même une première famille. Il fallait donc constituer un groupe avec des individualités, mais dont on pouvait croire qu’ils avaient un vécu commun, une complicité.
AH : On a donc vu, Fanny et moi, ces 150 acteurs en essais individuels (ndlr : il n'y a que des hommes dans cette brigade dans la première partie du film). Dominik a visionné ces essais, nous en avons parlé tous les trois et fait la liste de ceux que nous avions envie de revoir. Beaucoup nous plaisaient ! Pour les call-backs, cette fois en présence de Dominik, nous les avons convoqués en petits groupes de trois ou quatre. Et c’est là que c’est devenu passionnant. Certains acteurs qu’on avait beaucoup aimés en essai individuel, fonctionnaient moins bien dans ces essais de groupe. Car ici il ne s’agissait pas de briller individuellement mais de servir le groupe, faire vivre autant les autres que soi-même. Comme disait Dominik, il fallait être plus rugby que foot.
DB: On arrive à un beau mélange des genres qui rend cette brigade très réelle et renouvelle un peu le genre justement.
FDD: Quand tu as déjà travaillé avec un réalisateur ou une réalisatrice, que tu connais ses goûts, qu’il y a une complicité et une confiance mutuelle, tu te sens beaucoup plus libre de faire des propositions très différentes. Le fil conducteur avec Dominik, c'est le plaisir dans le travail. Et l'humour. Il a envie de travailler avec des gens qui sont évidemment talentueux, mais aussi généreux et de bons camarades. L’important c’est de prendre le travail au sérieux sans se prendre soi-même trop au sérieux. Les acteurs doivent assez vite capter que c'est essentiel. D'ailleurs, nous avions instauré une manière de diriger les présentations des comédiens et des comédiennes, qui a pu en déstabiliser certains et certaines, en leur posant des questions totalement à côté de la plaque, pour voir comment ils ou elles réagissaient et si nous arrivions vite à un même état d'esprit, au même humour. Ce qui n’empêche pas que les comédiens choisis viennent d’horizons assez différents. Plusieurs viennent de la comédie, alors que le sujet du film est assez grave. Je pense à Paul Jeanson par exemple qui a été un des premiers comédiens validés.
DB: Paul Jeanson que nous connaissions au théâtre dans les spectacle d'Igor Mendjisky et Alexis Michalik notamment, et plutôt appelé sur des comédies en effet. Il y a aussi Johann Dionnet, que nous avons découvert chez Palmade notamment, qui manie un certain humour noir et excelle dans des personnages pas toujours sympathiques. Ou Théo Cholbi, qui est plus habitué aux films que nous qualifierons d'auteurs, ou encore Julien Frison de la Comédie Française à la voix reconnaissable entre toutes et son côté premier de la classe. Et aussi Thibaut Evrard qui est très à l'aise dans ce registre de flic (mais dans quel registre ne l'est-il pas ?). Ce mélange d'univers fait un bien fou.
FDD: Oui, c'est vrai que pour une fois qu'on nous lâchait la grappe avec des noms d'acteurs connus, on était libre de se retrouver autour de comédiens qu'on ne voit pas tous les jours dans des rôles aussi exposés et qui portaient des valeurs chères à Dominik: Humainement, se retrouver dans le plaisir, la simplicité et le travail, quel que soit les univers dans lesquels on veut bien les cataloguer. Tous ces nouveaux visages rendent la brigade beaucoup plus crédible.
DB: Tout en gardant ce qu'on aime chez Dominik Moll: le caractère énigmatique, toujours singulier et parfois grinçant sinon spectral de ses personnages qui les rendent toujours aussi attachants, troublants et profondément humains.
AH: Oui, chaque personnage de la brigade avait une histoire à porter. Mais Dominik n’est pas un adepte des longues back-stories, il choisit aussi ses comédiens en fonction de leurs personnalités qui va déjà apporter un vécu et nourrir le personnage. Le film est adapté d'un livre, "18.3. Une année à la PJ" de Pauline Guéna, qui a passé un an en immersion à la PJ de Versailles. Les enquêteurs, les témoins ou les suspects qu’elle décrit dans le livre sont ancrés dans le réel. Les acteurs qu'on présente à Dominik doivent forcément être en mesure de l'inspirer à la hauteur de cette réalité, mais ils doivent aussi pouvoir s’approprier un texte pas forcément naturaliste. Quand Fanny arrive avec l'idée de Mouna Soualem, pour rejoindre dans la deuxième partie du film cette brigade exclusivement masculine, tout à coup, elle provoque une adhésion directe. Parfois, ça ne s'explique pas.
FDD: Le rôle de cette jeune policière nous a donné du fil à retordre, car les dialogues écrits par Gilles Marchand et Dominik, et notamment pour ce rôle-là, sont très précis et ne laissent pas beaucoup de place à l’improvisation. C’est très musical. Tu changes une virgule ou un mot, ce n'est plus du tout la même chose. Il faut savoir s’emparer de ce texte et le laisser paraître fluide et naturel alors qu’il peut être très écrit. Mouna a cette intelligence du texte qui a fait la différence pour ce rôle.
DB : Même si le film est très masculin, « un monde d’hommes » comme le dit Mouna Soualem, il y a, en plus du sien, de très beaux rôles féminins, et c’est un plaisir de trouver là aussi des comédiennes d’horizons très différents, comme Pauline Serieys, Lula Cotton Frapier, Camille Rutherford ou Charline Paul.
AH : Pour les rôles féminins nous avons fait beaucoup moins de propositions à Dominik, d’une part parce qu’il n’y avait pas la difficulté à créer cette dynamique de groupe comme pour les enquêteurs, et aussi parce que nous avons rapidement eu des idées fortes qui ont tout de suite enthousiasmé Dominik. Il aime être surpris et découvrir de nouveaux visages qui l’inspirent. Un des plaisirs de ce métier c’est lorsqu’on sent qu’un réalisateur partage le même coup de cœur que nous pour une actrice ou un acteur.
DB : J’imagine que ça a dû être le cas pour Anouk Grinberg. Quel bonheur de la voir "réapparaître" dans ce film et dans ce rôle là!
AH: J'avoue qu'Anouk Grinberg est une sorte d'obsession pour moi, je voulais absolument travailler avec elle, qu'elle tourne à nouveau. Nous avons vu des actrices de natures et de jeu assez différents pour ce rôle, mais lorsque Anouk Grinberg a passé les essais (ce qu’elle avait accepté avec une grande simplicité), et alors que nous ne la ramenions pas trop tellement elle nous impressionnait, ça nous paraissait évident qu'elle serait notre juge. Nous étions convaincues à 200 pour cent. J'avais ressenti la même certitude sur "Seules les Bêtes" avec Valeria Bruni Tedeschi.
DB: C'est la première fois que vous travaillez ensemble comme co-directrices de casting ? Quel bénéfice en avez vous retiré ?
FDD: Que du plaisir. On attend qu'une chose, c'est de reproduire l'expérience. C'était possible de le faire sur ce film grâce à Dominik. On se connaissait tous les trois depuis "Des nouvelles de la planète Mars", où j’avais été l’assistante d’Agathe. Ensuite elle avait fait seule le casting de "Seules le Bêtes". Mais on avait très envie de retravailler tous les trois ensemble, et Dominik a réussi à convaincre la production de nous prendre comme co-directrices de casting. Le fait d'être deux peut faire peur à une prod, mais l'un dans l'autre, les idées fusent plus vite. On arrive avec deux fichiers, deux visions et des expériences de casting différentes juste avant.
AH: Fanny sortait du casting de "Suprêmes" d'Audrey Estrougo avec Mohamed Bellamar, le biopic de NTM. Du coup, pour un des suspects de « La Nuit du 12 », elle a pensé à Nathanaël Beausivoir, proposition qui a fait mouche. Tout comme Benjamin Blanchy, dont Fanny avait retenu le nom un jour en parcourant le site de son agent. Dès la description du personnage faite par Dominik, elle nous l'a ressorti aussi sec. En fait, tout en étant très liées, on a deux mondes, deux manières de travailler et des références assez différentes, ce qui est souvent très productif.
FDD: On est conscientes qu’une telle collaboration est un vrai cadeau car ce n'est pas forcément possible avec tout le monde. On se connaît très très bien. On connaît le caractère de l'autre par cœur et nous sommes liées par cet humour commun, qui peut être ne conviendrait pas à tout le monde mais qui nous est apparu comme une vraie force sur ce film.
DB: Et au final, sur un film que j'estime à environ 6 semaines à 8 semaines de casting plus autant pour un.e assistant.e, la différence de budget est très relative. Ce genre de films, dont le casting riche, varié, inattendu, contribue, au delà de la fidélité entre Dominik Moll et son public, à son succès, me donne l'opportunité de rappeler combien il est important ne pas lésiner sur le casting et son budget, dès le départ. Qu'il faut du temps et des moyens, pour se donner la peine de chercher, imaginer, tenter des choses, avoir le choix et que bien souvent on en sort tou.te.s gagnant.e.s. Un message qui prend toute sa cohérence, ici, avec ce que vous partagez avec nous aujourd'hui sur la création de ce casting. C'est ce que je retiendrais pour ma part, de cet entretien. Et vous, quelle expérience en retirez vous ou disons de quoi vous sentez-vous les plus fières sur ce casting ?
AH: Mis à part le fait d'avoir pu signer ce casting avec Fanny, notre plaisir ou notre satisfaction est d'avoir élaboré avec Dominik Moll un casting qui tient la route et qui rencontre un public conséquent pour ce genre de films et dans cette période complexe sans avoir eu recours à des comédiens dits "bankable" (même si Bouli Lanners et Bastien Bouillon ne sont pas tout à fait des inconnus).
FDD: Oui, voir Bastien Bouillon dans ce rôle-là, même si ce n'est pas son premier rôle au cinéma (Sébastien Betbeder l'a distribué dans les rôles principaux de plusieurs de ses films), c'est sans doute un des grands plaisirs que je partage avec Agathe. Et puis distribuer Pauline Serieys aussi, qui est humainement extraordinaire, et qui se donne beaucoup dans le rôle. Ce sont deux belles victoires, entre autres avec en prime, de beaux retours sur notre travail, en effet.
Agathe Hassenforder a signé le casting du prochain long-métrage de Laurent Tirard, "Juste Ciel", qui sortira en Février 2023 avec Valérie Bonneton et Sidse Babett Knudsen et Fanny De Donceel, celui de la série "Septième Ciel" d'Alice Vial, avec Irène Jacob, Féodor Atkine et Grégoire Ludig, bientôt diffusé sur OCS.
Entretien réalisé par David Bertrand pour le site de l'ARDA, le 20 Juillet
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